
Nouvelles fonctions infirmières : « Nous sommes à un tournant »
Une analyse parue dans Santé conjuguée (mars 2025)(1) interroge les mutations de fond de la profession infirmière dans les soins primaires. Entre diversification des titres, complexité des rôles et potentiel de collaboration renforcée, la réforme de l’art infirmier ouvre la voie à une nouvelle organisation des équipes de première ligne.
La réforme de l’art infirmier entamée sous Maggie De Block et poursuivie par Frank Vandenbroucke a profondément redessiné le paysage des professions de soins. Outre la récente annonce concernant l’allégement des actes infirmiers (lire ici), cette réforme a entraîné une multiplication des statuts et fonctions.
Pour les soins primaires, quatre fonctions apparaissent aujourd’hui comme les plus structurantes aux yeux de Jean-Luc Belche, professeur à l’ULiège et co-auteur de l’article avec Jacinthe Dancot, infirmière et professeure invitée à l’ULiège : Cette diversité peut paraître source de confusion. Mais pour les auteurs de l’article, elle représente une opportunité majeure pour les pratiques intégrées.
« Infirmier responsable de soins généraux, infirmier de pratique de médecine générale, infirmier spécialisé en santé communautaire et infirmier de pratique avancée : la coexistence de ces nouvelles fonctions dans le cadre des soins primaires représente un défi, mais aussi la plus-value possible d’une pratique intégrée. Nous avons essayé de clarifier ces notions et de souligner les opportunités et défis que représentent ces nouvelles fonctions en soins primaires », commente Jean-Luc Belche. « Ce qui est sûr : nous sommes à un tournant. »
Un potentiel structurant pour la médecine générale
Chacune de ces fonctions repose sur des formations distinctes, avec des durées et des niveaux variables (du bachelier au master), et des actes autorisés plus ou moins étendus. L’ Infirmier responsable de soins généraux peut exercer l’ensemble de l’art infirmier défini par la loi coordonnée de 2015. L’infirmier spécialisé en santé communautaire ajoute une spécialisation de 60 crédits en santé des populations et prévention. L’infirmier de pratique de médecine générale, en cours de création en Fédération Wallonie-Bruxelles, propose un certificat universitaire court centré sur les spécificités de la pratique généraliste. Quant à l’infirmier de pratique avancé, formé au niveau master et riche d’au moins 3 000 heures de pratique, il peut, sur base de conventions, réaliser certains actes diagnostiques et thérapeutiques dans un cadre interprofessionnel.
Ces fonctions peuvent assumer un large éventail de rôles dans une pratique généraliste : suivi de patients chroniques, prévention à l’échelle d’une patientèle, réalisation d’actes techniques, coordination des soins complexes, élaboration de recommandations de bonne pratique, voire pilotage de démarches qualité. L’intégration des infirmiers en médecine générale est d’ailleurs une réalité bien établie dans les maisons médicales au forfait, et progresse dans d’autres types de pratiques selon les premières données du New Deal, de Domus Medica ou de l’UAntwerpen.
Une organisation en deux niveaux complémentaires
L’article de Jean-Luc Belche et Jacinthe Dancot plaide pour une organisation en deux niveaux complémentaires : d’une part, des infirmiers en effectif suffisant travaillant au sein ou en réseau avec les pratiques de médecine générale ; d’autre part, des infirmiers de pratique avancée en soutien territorial ou régional, avec un rôle plus transversal, voire de coordination. Ce modèle pourrait répondre à la fois à la pénurie de médecins généralistes et aux aspirations professionnelles des infirmiers de niveau master. Mais plusieurs freins restent à lever : le faible nombre de diplômés IPA orientés vers les soins primaires, le financement encore centré sur les actes techniques, et la difficulté à déployer pleinement les compétences de niveau master dans des pratiques limitées à quelques milliers de patients.
« Face à la pénurie en médecine générale, nous avons voulu dépasser l’opposition stérile entre l’augmentation du nombre de médecins et la substitution par des infirmiers de pratique avancée », concluent les auteurs de l’article, selon qui « il existe une troisième voie plus prometteuse : miser sur un renforcement coordonné des deux professions, en construisant un système intégré fondé sur des collaborations élaborées. L’enjeu, ce n’est pas de transférer des tâches, mais de répondre en complémentarité aux besoins croissants des soins primaires. »
1. Jean-Luc Belche, Jacinthe Dancot, « De nouvelles fonctions infirmières en soins primaires », Santé conjuguée, n°110, mars 2025. https://www.maisonmedicale.org/de-nouvelles-fonctions-infirmieres-en-soins-primaires