Pas de réelle volonté politique d'atteindre une génération sans tabac d'ici 2040
Bâtir une génération sans tabac d'ici 2040 ? Les partis politiques, de gauche comme de droite, n'entreprennent pas de réel effort en ce sens puisqu'ils freinent les mesures les plus efficaces, conclut une étude de l'UCLouvain parue dans la revue internationale Tobacco Control.

L'Institut de recherche santé et société de l'UCLouvain et l'Alliance pour une société sans tabac (qui réunit la Fondation contre le cancer et son pendant néerlandophone Kom op tegen Kanker) ont soumis, à l'hiver 2023-2024, un questionnaire sur la lutte contre le tabagisme aux 12 partis siégeant au parlement fédéral. Dix (PS, Vooruit, MR, Open VLD, N-VA, DéFI, Ecolo, Groen, Les Engagés et le CD&V) ont répondu dans les temps. L'enquête leur demandait de se positionner sur 15 mesures en particulier.
Avancer comme la Nouvelle-Zélande... qui recule
Certaines de ces mesures découlent de la "Stratégie interfédérale 2022-2028 pour une génération sans tabac". Lancée en 2022, elle vise en particulier les jeunes et se fixe pour objectif de ramener la consommation quotidienne de tabac à moins de 6% chez les 15-24 ans d'ici 2028, ensuite de réduire à (presque) 0% d'ici 2040 le nombre de personnes qui commencent à consommer des produits du tabac.
D'autres mesures vont plus loin, comme une hausse de minimum 10% des accises visant les produits de tabac ou l'allocation d'une partie des recettes fiscales provenant de ces produits à la prévention. Quelques-unes vont encore plus loin en proposant d'augmenter chaque année l'âge minimum légal pour pouvoir acheter des produits de tabac, de sorte qu'aucun individu né après 2011 ne pourrait se procurer légalement ces produits. "La Grande-Bretagne a pris une décision similaire, tandis que la Nouvelle-Zélande a fait marche arrière à cet égard", pointe le professeur Vincent Lorant, dont l'équipe a réalisé l'enquête.
À gauche comme à droite, ça bloque...
"Résultat: les partis s'accordent sur l'importance de mener des campagnes de prévention et de renforcer l'aide au sevrage tabagique. Mais dès qu'il s'agit d'agir plus fermement, à gauche comme à droite, la recherche montre que les principaux partis bloquent les mesures les plus efficaces reconnues par l'OMS", comme une hausse significative des accises, l'interdiction progressive de vente aux nouvelles générations, la réduction des points de vente (en les liant à une licence spécifique), une transparence stricte face au lobbying..., déplore l'équipe de recherche.
Sur ce dernier point, la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (FCTC) - que la Belgique a signée - propose notamment de limiter les contacts des politiques avec les cigarettiers car "le lobbying de ces derniers est intense", explique Vincent Lorant. Si les montants investis au Plat pays ne sont pas disponibles, "on sait qu'en France, le budget annuel des lobbyistes (pro-tabac, NDLR) avoisine les deux millions d'euros", poursuit-il. Concrètement, il s'agirait de tenir un registre accessible des contacts établis et d'y ajouter des procès-verbaux de ces réunions.
Les partis politiques enfumés par l'industrie du tabac
Pour justifier leur position, les formations politiques reprennent à leur compte les arguments de l'industrie du tabac, poursuivent les chercheurs et chercheuses. Ainsi, la hausse des prix favoriserait la contrebande (alors que les prix sont plus élevés en France et aux Pays-Bas, souligne l'étude) ou fumer constituerait un choix personnel. Il est pourtant marqué par les inégalités sociales (on retrouve 18% de fumeurs chez les moins scolarisés, contre 8% chez les plus scolarisés en Belgique, relèvent les scientifiques). "L'idée selon laquelle les individus sont informés, autonomes et capables de poser leurs propres choix en matière de santé (...) minimise l'importance de l'addiction au tabac et certains facteurs sociaux parmi les enfants et adolescents, comme l'influence des pairs", mettent en exergue les auteurs de ce travail scientifique.
Ce faisant, les décideurs "préfèrent protéger les intérêts économiques à court terme des fumeurs plutôt que la santé des enfants et des adolescents", cingle le rapport. "La France et les Pays-Bas ont déjà engagé des mesures nettement plus ambitieuses, comme une forte augmentation des accises sur le tabac."