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Objectifs de santé

Première ligne, accessibilité, prévention : le Conseil général fixe ses priorités santé

Le Conseil général de l’Inami a adopté les cinq objectifs de soins de santé qui guideront l’action fédérale pour la législature 2025–2030. Trois d’entre eux ont été définis comme prioritaires : l’organisation de la première ligne, l’accessibilité et la prévention. Deux autres, plus transversaux, sont considérés comme les fondations de l’ensemble du dispositif : l’efficacité des soins et l’usage structuré des données de santé.

Pour Mickaël Daubie, directeur général du Service des soins de santé de l’Inami, cette articulation répond à une nécessité structurelle. « La seule manière de réduire les tensions dans le système de santé, c’est d’agir à la fois sur l’offre et sur la demande. D’un côté, on structure et on renforce la première ligne ; de l’autre, on fait en sorte que le patient reste le plus longtemps possible en bonne santé – c’est l’objectif de la prévention – et qu’il ait accès aux soins quand il en a besoin – c’est le défi de l’accessibilité. »

Une méthode inédite, un tournant stratégique

Le processus suivi constitue en soi une innovation majeure. Pour la première fois, la fixation des priorités en matière de soins de santé a été encadrée par la Commission des objectifs en matière de soins de santé (Coss), instituée en 2024. Cette dernière a remis, en avril 2025, un rapport structuré, fondé sur des travaux scientifiques et une consultation large du secteur. Huit objectifs généraux ressortent, parmi lesquels le Conseil général devait effectuer une sélection, dans un délai de 90 jours suivant la déclaration gouvernementale (prononcée le 4 février 2025 devant la Chambre). Le délai était fixé au 5 mai.

« Jusqu’ici, les intentions figuraient dans les accords de gouvernement, mais sans traduction concrète. On parlait d’améliorer la santé, de renforcer la prévention… mais il n’y avait ni indicateurs, ni pilotage. Avec ce nouveau processus, on passe du vœu pieux à l’objectif structuré », observe Mickaël Daubie. Le Conseil général – organe tripartite/quadripartite où siègent les prestataires (avec voix consultative), les mutualités, les syndicats, les employeurs et les représentants du gouvernement – s’est donc prononcé sur cette base. Le résultat : cinq priorités, qui baliseront l’action de l’Inami jusqu’en 2030, et orienteront dès cette année la lettre de mission budgétaire du gouvernement pour l’exercice 2026.

Deux fondations incontournables

Les deux premiers objectifs retenus – l’utilisation cohérente des données de santé et la promotion des soins efficaces – ne seront pas seulement soutenus : ils seront mis en œuvre directement par l’Inami, sans passer par un groupe d’experts. « Ce ne sont pas des priorités comme les autres, ce sont des fondations. Elles doivent irriguer toute la politique. On ne construit rien de durable sans ces deux piliers », insiste Mickaël Daubie.

Concernant les données, l’articulation avec le futur plan e-santé et la Health Data Authority est évidente. L’Inami pilotera la structuration de cette politique d’échanges, tant entre professionnels qu’avec les patients. « Je suis intimement convaincu que l’échange structuré des données est la pierre angulaire du système. C’est la colonne vertébrale de toute politique cohérente. » Quant à l’efficacité, il ne s’agit pas de restreindre les soins, mais de mieux les organiser, en limitant les redondances, en favorisant les parcours intégrés et en s’appuyant sur les données probantes. « L’objectif est de faire mieux avec les ressources disponibles, pas de faire moins. »

Une réponse structurelle à la pénurie

Parmi les trois objectifs jugés prioritaires, le plus structurant est sans doute celui qui concerne la première ligne de soins. L’ambition est claire : développer des équipes pluridisciplinaires coordonnées, capables d’assurer un suivi continu, articulé avec la deuxième ligne et les autres acteurs du système. « C’est l’objectif le plus global », reconnaît Mickaël Daubie. « Il ne s’agit pas seulement de soigner, mais de repenser la manière dont on soigne, avec qui, et à quel moment. »

Le Conseil général voit dans cette réorganisation un levier pour répondre à plusieurs défis simultanés : le vieillissement de la population, la pénurie de personnel, l’augmentation des maladies chroniques, mais aussi la nécessité de rationaliser les parcours. « Le renforcement de la première ligne est la meilleure réponse à la demande croissante. Cela suppose une meilleure répartition des tâches entre professionnels, une collaboration plus fluide entre généralistes, pharmaciens, infirmiers, et une articulation solide avec les hôpitaux. »

Le lien est également fait avec d’autres mesures en cours, comme le New Deal pour les médecins généralistes ou la réforme du financement des soins infirmiers. « Ce que nous visons, c’est une prise en charge continue et intégrée. Ce modèle permet aussi de soulager la deuxième ligne en évitant des hospitalisations inutiles. »

Mais Mickaël Daubie met en garde contre une vision strictement fédérale du problème. « La première ligne est en partie régie par les entités fédérées. Il faut donc travailler en bonne intelligence, avec une gouvernance interfédérale cohérente. » La Commission de gestion des objectifs de soins de santé (GDOSS), chargée désormais de décliner cet objectif en indicateurs concrets, devra composer avec cette complexité.

Chronologie

Garantir l’accès aux soins, partout et pour tous

Deuxième priorité transversale : l’accessibilité. Financière, géographique, humaine. Derrière ce mot se cachent des réalités très concrètes pour les patients comme pour les soignants. Délais d’attente à rallonge, absence de médecins dans certains bassins de vie, soins différés pour raisons économiques : les signaux d’alerte se multiplient.

« L’accessibilité, c’est un principe fondamental de notre système solidaire. À quoi bon un système performant s’il est hors de portée d’une partie de la population ? », interroge Mickaël Daubie. Le Conseil général souligne d’ailleurs que de nombreux indicateurs existent déjà, en particulier sur l’accessibilité financière, à travers le taux de report de soins, le recours aux tickets modérateurs, ou encore les mécanismes d’intervention majorée.

Mais le défi dépasse les seuls chiffres. Il touche aussi à la répartition des professionnels de santé, à la capacité d’accueil des structures, au développement de solutions alternatives comme la téléconsultation. « Il faut un effort concerté pour garantir que chacun puisse accéder aux soins nécessaires au bon moment. Cela implique aussi de renforcer la littératie en santé, un chantier souvent oublié. »

Prévention : la meilleure maladie est celle qu’on évite

Le troisième objectif prioritaire défini par le Conseil général concerne la prévention. Là encore, la conviction de Mickaël Daubie est sans détour : « Si l’on veut contenir durablement les tensions dans le système, il faut agir sur la demande. Et cela passe par la prévention et la détection précoce. »

Ce chantier est aussi complexe que transversal. Vaccination, dépistage des cancers, promotion des comportements favorables à la santé : les politiques de prévention relèvent à la fois du fédéral et des entités fédérées, dont les visions divergent parfois. « Nous avons besoin d’un cadre commun, d’un plan interfédéral cohérent. Cela ne se fera pas en un jour, mais il y a un momentum à saisir. »

Le Conseil souligne que la prévention ne doit pas se limiter à quelques campagnes thématiques, mais s’inscrire dans une logique continue, tant au niveau individuel qu’à l’échelle de la population. C’est aussi un levier crucial pour faire face au nombre croissant d’incapacités de travail de longue durée. « Nous devons agir en amont », insiste Mickaël Daubie. « Cela signifie intervenir tôt sur la santé mentale, les troubles musculo-squelettiques, les maladies chroniques, mais aussi soutenir la réinsertion et les capacités fonctionnelles des patients. »

L’Inami change de focale
Sans l’énoncer frontalement, le Conseil général de l’Inami envoie un signal clair : les priorités de la législature 2025-2030 ne passent pas par l’hôpital. Aucun des cinq objectifs retenus ne cible explicitement la deuxième ligne. À rebours d’une logique historique de sur-financement hospitalier, l’accent est mis sur la structuration de la première ligne, la prévention et l’accessibilité en amont.
Pour Mickaël Daubie, ce n’est pas une opposition, mais une réorientation cohérente : « Ce n’est pas une mise à l’écart des hôpitaux, mais un rééquilibrage. Renforcer la première ligne, c’est aussi préserver la deuxième ligne. »
Cette inflexion stratégique pourrait bousculer certaines habitudes. Car elle implique une redistribution progressive des efforts, des budgets, et des leviers politiques, au profit d’une vision plus préventive, continue et intégrée des soins.

Une mise en œuvre progressive, fondée sur des indicateurs

Maintenant que les priorités sont fixées, le Conseil général passe le relais à la Commission GDOSS, qui devra traduire ces objectifs en plans d’action opérationnels. Pour chacun des trois axes prioritaires – première ligne, accessibilité, prévention – des groupes d’experts seront chargés de définir des indicateurs SMART : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement définis.

Mickaël Daubie
DR

« La seule manière de réduire les tensions dans le système de santé, c’est d’agir à la fois sur l’offre et sur la demande. » – Mickaël Daubie, directeur général du Service des soins de santé de l’Inami

Ce travail devra s’inscrire dans une perspective pluriannuelle, mais produire des premiers résultats dès 2026, à travers la lettre de mission budgétaire du gouvernement. « L’idée n’est pas d’empiler les intentions, mais de rendre chaque avancée visible et évaluable », insiste Mickaël Daubie. « C’est ainsi que l’on sortira d’une culture de l’improvisation. »

Pour les deux fondations transversales (données et efficacité), l’Inami prendra directement l’initiative. Des plans d’action seront soumis au Conseil pour validation dans les prochains mois. « Nous avons déjà les outils, les projets sont prêts à être déployés. Il n’y a pas de temps à perdre. »

Prioriser sans abandonner : éviter l’effet tiroir

La démarche du Conseil général vise à éviter un écueil bien connu de la gouvernance en santé : la dispersion (ou le saupoudrage, c’est selon). En désignant trois objectifs centraux, le Conseil espère concentrer l’énergie institutionnelle sur des leviers transformateurs. Mais cela ne signifie pas pour autant que les autres domaines sont mis de côté.

« On ne peut pas tout faire à la fois. C’est une question d’efficacité, pas d’exclusion », précise Mickaël Daubie. Les autres axes identifiés par la Coss – comme les soins centrés sur la personne, le bien-être des professionnels ou l’attention à des secteurs spécifiques comme la santé mentale ou les maladies rares – ne sont pas abandonnés. Ils pourront être réintégrés plus tard, dans une logique de révision annuelle ou de complément.

Reste à convaincre les acteurs du terrain. Car derrière cette dynamique de priorisation, certains perçoivent une mise à l’écart de leur réalité. D’autres, notamment dans les milieux médicaux, reprochent à la décision un manque de transparence. Mickaël Daubie s’en défend : « Le Conseil général, ce n’est pas l’administration de l’Inami. Ce n’est pas non plus les mutualités seules. C’est un organe tripartite/quadripartite/multipartite, représentatif, où chaque groupe a sa voix. Il faut que cela soit mieux compris. »

Le vrai travail commence
La sélection des cinq objectifs n’est qu’une première étape. Le véritable chantier commence maintenant : traduire ces orientations en politiques concrètes, portées par des indicateurs clairs, des budgets ciblés et une gouvernance adaptée. Le Conseil général attend de la Commission GDOSS qu’elle élabore les premiers plans opérationnels d’ici à la fin de l’année. La lettre de mission pour le budget 2026 servira de premier test grandeur nature : saura-t-on orienter les moyens de l’assurance maladie en fonction des priorités fixées ?
L’autre défi sera institutionnel. À mesure que les groupes d’experts se mettront en place, la nécessité d’une coordination interfédérale forte se fera sentir, notamment en matière de prévention, de première ligne ou de répartition des ressources humaines. Ce que Mickaël Daubie appelle de ses vœux, c’est une forme de maturité collective. « Le système de santé est devenu trop complexe pour être piloté par silo. Il faut que chacun sorte de ses logiques institutionnelles pour travailler à l’intérêt général. »
Ce cadrage stratégique du Conseil général ne résoudra pas tout. Mais il crée un socle de cohérence inédit pour penser les politiques de santé à moyen terme. C’est déjà beaucoup. À condition que les engagements pris aujourd’hui ne se perdent pas, demain, dans les tiroirs de l’administration.

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Écrit par Laurent Zanella