Interview exclusive avec Marc Gryseels
BACHI : « Les produits OTC peuvent générer des économies »
Le secteur des médicaments non soumis à prescription et des produits de santé, réunis au sein de l’organisation faîtière BACHI, souhaite une reconnaissance claire par les pouvoirs publics du rôle socio-économique de ses produits. « Nous apportons une contribution importante à la santé publique », souligne l’administrateur délégué Marc Gryseels.
Le Pharmacien : Que faut-il entendre aujourd’hui par le concept d’OTC ? Sa signification a en effet évolué au fil du temps.
Marc Gryseels : À l’origine, OTC ne désignait que les médicaments non soumis à prescription. Aujourd’hui, la définition est beaucoup plus large et recouvre tous les produits que l’on peut qualifier d’automédication. Outre les médicaments, cela inclut également les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux, les cosmétiques, les biocides et les produits à base de plantes. Pour nous, il est surtout important de souligner qu’il s’agit de produits qui contribuent à améliorer la santé. Un exemple : nous ne vendons pas un shampooing ordinaire, mais un shampooing qui agit par exemple contre les poux ou un tableau clinique particulier.
Quel est – avec cette définition de l’OTC à l’esprit – le rôle et l’importance de l’automédication ?
L’automédication est importante dans la prévention et le traitement des petits maux que le patient peut identifier et traiter lui-même. Cela peut être très large. Après qu’un médecin a posé un diagnostic et initié le traitement, un patient diabétique peut parfaitement gérer le stylo qu’il doit utiliser pour s’injecter de l’insuline. Le patient connaît sa maladie et peut pratiquer l’automédication. Le suivi de la maladie est une forme d’OTC, une forme d’automédication.
Quel est le rôle de BACHI en la matière ?
Notre rôle consiste à servir d’intermédiaire entre l’industrie et le monde politique. Nous sommes là pour faciliter, pour contribuer à la notoriété des produits OTC et, lorsque c’est possible, pour orienter certaines décisions politiques dans un sens positif à la fois pour nos membres et pour le patient. Lorsque nos membres sont confrontés à un problème, nous le portons à l’attention des responsables politiques. Quand les pouvoirs publics modifient un cadre ou une règle, nous jouons le rôle de facilitateur en informant nos membres. Si nécessaire, nous essayons aussi d’influer sur la loi. Parfois nous y parvenons, parfois non. Dans ce cas, il nous appartient d’expliquer au secteur pourquoi cela n’a pas abouti. Ce n’est pas toujours une position confortable.
« Malheureusement, l’OTC est encore trop peu envisagé comme une alternative pour dégager des moyens budgétaires supplémentaires. »
Quel sera l’impact des économies réalisées par le gouvernement ?
Pour notre secteur, ces économies n’auront pas d’effet immédiat. Lorsque les pouvoirs publics économisent, cela concerne le budget des soins de santé, et les produits OTC n’y sont pas intégrés. C’est en soi regrettable, car les produits OTC pourraient générer d’importantes économies, qui pourraient ensuite être réinvesties dans les soins de santé. Le budget ainsi libéré pourrait être consacré à de nouveaux médicaments, coûteux, pour des pathologies importantes. Malheureusement, l’OTC est encore trop peu envisagé comme une alternative permettant de dégager des moyens budgétaires supplémentaires. Un exemple de cela est ce que nous appelons le « switch » : certaines indications ou certains produits qui se trouvent dans le système de remboursement pourraient parfaitement passer à l’automédication.
Pouvez-vous en donner un exemple ?
Il existe de nombreux exemples, mais il y a aussi un problème. Pour bien l’appliquer, nous devons d’abord identifier les critères qui sont importants au regard des caractéristiques des différentes pathologies. Pour ce faire, les différents acteurs – médecins, pharmaciens, autorités et industrie – doivent s’asseoir autour de la table. Il va de soi que certaines pathologies ne sont pas concernées. Le traitement d’un patient atteint de cancer, par exemple, n’a rien à voir avec l’OTC. Les antidouleurs sont en revanche un bon exemple où il existe des marges de manœuvre. L’ibuprofène 400 mg est disponible en vente libre. À 600 mg, il est soumis à prescription et remboursé. La logique derrière cela est difficile à saisir. Un patient qui est au courant demandera à son médecin de lui prescrire 600 mg plutôt que d’aller directement à la pharmacie. Si l’on raisonne au niveau des indications, le remboursement peut être prévu pour les patients suivis par un médecin et qui souffrent de douleurs intenses et persistantes. Mais le médicament doit-il aussi être remboursé pour quelqu’un qui doit prendre des antidouleurs pendant deux jours parce qu’il a mal à la tête ?
Un autre exemple concerne les IPP, des médicaments qui, selon le ministre, sont trop prescrits et sur lesquels il veut réaliser des économies. Qu’on autorise également leur mise sur le marché, sans prescription, en petits conditionnements pour une utilisation de courte durée. De ce fait, ils sortent du budget de remboursement et l’argent économisé peut être consacré à une nouvelle thérapie. Cet argent, nous en aurons besoin.
Je suppose que vous avez déjà soumis cette proposition au ministre Vandenbroucke. Quelle a été sa réaction ?
Nous n’avons, jusqu’à présent, reçu aucune réaction. Nous avons réalisé une analyse sur la base d’un certain nombre de critères tels que nous les voyons, mais je ne pense pas que l’industrie doive avoir la prétention de tout décider elle-même. Les médecins et les pharmaciens sont les mieux placés pour définir les critères permettant de faire passer une indication du statut de médicament soumis à prescription à celui de produit en vente libre.
Nous estimons néanmoins que l’on pourrait ainsi réaliser entre 500 et 800 millions d’euros d’économies. Cela nécessite toutefois une réévaluation de tous les tableaux cliniques. Et cela demande, à son tour, du courage politique, parce qu’il faut expliquer au patient qu’il devra payer davantage de sa poche. Cela fait toujours mal. Cette douleur peut être atténuée si l’on précise d’emblée que l’argent ainsi économisé sera consacré à de nouvelles thérapies. Cet argent ne disparaît pas du secteur des soins de santé, il est utilisé autrement, et mieux. On pourrait s’attendre à ce que cette piste soit examinée au moment où il faut trouver des milliards.
S’agit-il d’une mesure qui peut être prise à court terme et générer rapidement des économies ?
Certainement. C’est pourquoi nous choisissons de raisonner par indication et non par molécule. Si nous décidons d’effectuer le switch au niveau de la molécule, l’initiative doit venir d’une firme. Mais pourquoi le ferait-elle si la concurrence continue à opter pour le remboursement et donc pour un coût plus faible pour le patient ? Aucune firme ne le fera.
« L’harmonisation européenne reste un rêve lointain. »
Si nous opérons le switch par indication, nous renversons le système. Il revient alors aux pouvoirs publics de dire : « Tous les traitements pour ce tableau clinique sortent du système de remboursement et de l’obligation de prescription. » Bien entendu, des exceptions peuvent toujours être prévues – dans une mesure limitée – mais elles doivent être solidement justifiées et documentées. Il appartient aussi au politique de décider si le médicament qui bénéficie d’une exception reste ou non remboursé.
Quelle est la position de BACHI face à l’influence d’internet sur le comportement d’achat des patients ?
C’est l’un de nos problèmes, qui ne figure pas à l’agenda politique. Beaucoup de consommateurs sont influencés par ce qu’ils lisent sur internet. Ils y cherchent des informations sur leur maladie. L’industrie n’est toutefois pas autorisée à y fournir des informations, en vertu d’une loi de 1964, révisée en 1995. Cette loi parle encore de radio, de télévision et de fax. Mais aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui sont le principal moyen de communication. Or l’industrie n’a pas le droit d’y recourir.
Qu’est-ce que le consommateur voit, lui ? Des réactions de personnes mécontentes ou l’avis d’antivax. Ceux-ci font beaucoup de bruit, mais avec des informations qui, à nos yeux, ne sont pas exactes. Pensons aussi à un homme politique connu qui a soudain affirmé que le paracétamol provoque l’autisme. Nous ne pouvons réagir que par un communiqué de presse. Ce n’est tout simplement pas possible.
« Autoriser la publicité auprès du grand public est la seule manière de contrer ce que disent les influenceurs, par exemple sur TikTok. »
Vous êtes également demandeurs d’une révision de la notice accompagnant les médicaments.
Aujourd’hui, tout le monde a en permanence son smartphone en main. Au moyen d’un code-barres ou d’un QR-code sur l’emballage, le consommateur pourrait accéder rapidement aux informations les plus à jour sur ce médicament, dans toutes les langues possibles. Fini les manipulations avec une notice papier qui est en quelque sorte déjà dépassée au moment où elle est glissée dans la boîte. Les gens ont parfois chez eux des médicaments qui ont plusieurs années. Entre-temps, la posologie peut avoir été modifiée ou de nouveaux effets indésirables peuvent avoir été signalés. L’adresse e-mail ou postale à laquelle adresser les plaintes ou déclarer les effets indésirables peut également changer. En version électronique, ces données sont immédiatement mises à jour.
En ce qui concerne la communication vers les médecins et les pharmaciens, lorsque nous voulons aujourd’hui faire de la publicité, la moitié de l’espace est occupée par la notice. Ce n’est vraiment plus de notre temps. Je suppose que chaque médecin ou pharmacien est parfaitement capable de scanner un code pour lire la notice, non pas en petits caractères mais sur son écran, au moment où le médicament est prescrit ou délivré. Ce sont les deux moments les plus cruciaux pour le médecin ou le pharmacien pour consulter la notice.
Un autre avantage ? Lorsqu’un médecin se trouve face à un patient qui a acheté un produit qu’il ne connaît pas, il peut facilement scanner un code et consulter immédiatement sur son smartphone toutes les informations utiles sur ce produit. Ce sont des pistes dont tout le monde sort gagnant.
L’enregistrement des produits est un problème qui a déjà été soulevé à plusieurs reprises. Y a-t-il une évolution dans ce dossier ?
Oui et non. Pour les produits OTC, les délais d’enregistrement se sont améliorés. Le nombre de dossiers en attente d’approbation est plus faible qu’autrefois. Il y a dix ans, 200 à 250 dossiers figuraient sur la liste d’attente, aujourd’hui ils ne sont plus qu’une quarantaine. C’est une grande différence. L’AFMPS a d’ailleurs fortement augmenté son effectif.
En ce qui concerne les compléments alimentaires, il existe en revanche un problème. Ils ne doivent pas obtenir un enregistrement, mais bien une notification dans laquelle sont reprises les dosages et l’indication du produit. S’il ressort ensuite d’une inspection que ces éléments ne sont pas corrects, le produit est retiré du marché. Il est donc important de rester vigilant quant à ce qui est mentionné dans la notification.
Les allégations pour les compléments alimentaires diffèrent cependant d’un pays à l’autre, sauf lorsqu’elles ont déjà été évaluées par l’Europe. Mais un grand nombre ne l’ont pas encore été et, dans ce cas, une évaluation nationale est nécessaire. La règle en Belgique est qu’aucune autorisation n’est délivrée tant qu’il n’y a pas d’évaluation. Les Pays-Bas et la France inversent le raisonnement et autorisent le produit tant qu’il n’a pas été interdit par l’Europe.
Résultat : on peut faire de la publicité avec des allégations de santé aux Pays-Bas et en France, mais pas en Belgique. Il y a un problème d’harmonisation. L’Europe harmonise très lentement.
Des produits sans évaluation ne peuvent-ils pas être commercialisés sur le marché belge ?
Si, mais sans allégations de santé. Les allégations sont évaluées par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), le dosage par les autorités nationales. Le dosage peut différer d’un pays à l’autre. Ainsi, par exemple, la mélatonine est autorisée aux Pays-Bas avec un dosage différent de celui en vigueur en Belgique. En raison de la libre circulation des marchandises, nous ne nous battons pas avec les mêmes armes en Belgique. Il n’est pas question de « level playing field ».
On lit souvent dans la presse qu’un certain produit est meilleur marché aux Pays-Bas ou en France. Mais il ne s’agit souvent pas de produits identiques. Prenons par exemple la vitamine D. En Belgique, la posologie est plus élevée que dans de nombreux autres pays. Avec 75 microgrammes par jour, notre pays se situe en dessous de la recommandation européenne non contraignante de 100 microgrammes, mais bien au-dessus des 5 microgrammes appliqués aux Pays-Bas. Le prix est donc logiquement plus élevé chez nous. En réalité, ce sont deux produits différents.
L’harmonisation européenne reste un rêve lointain. L’Europe travaille actuellement à la fixation d’une limite maximale pour les vitamines. Au-delà de ce seuil, le statut passe de complément alimentaire à médicament. Nous y sommes favorables, car cela permettra d’éliminer la concurrence déloyale pour les entreprises belges. Mais comme chaque État membre défend sa propre position, il reste encore un long chemin à parcourir.
Quelle est votre position vis-à-vis de la libéralisation des prix ?
La Belgique est l’un des deux derniers pays en Europe à contrôler et fixer le prix des produits OTC. Pourquoi le faisons-nous ? Personne ne le sait. Ces produits ne coûtent rien aux pouvoirs publics, alors pourquoi contrôler un prix qu’ils ne doivent pas eux-mêmes payer ? La composition de la commission qui fixe les prix est d’ailleurs étrange. Des représentants de l’industrie comme BACHI, pharma.be et Medaxes : logique. Des organisations de patients : compréhensible. L’État : on peut déjà en débattre. Mais que font les syndicats et les mutuelles dans cette commission ? Doivent-ils se mêler du prix d’un médicament en vente libre ? Pour les médicaments remboursés, je comprends que les pouvoirs publics fixent les prix, mais pas pour les produits OTC. Cela ne stimule pas la concurrence entre les produits, ce qui est défavorable au patient qui paiera plus. Entre-temps, il y a la concurrence déloyale du commerce en ligne, qui n’est pas nécessairement établi en Belgique.
Vous pensez, par exemple, à Farmaline ?
Pas spécifiquement à Farmaline. La loi a laissé une brèche dans laquelle ils se sont engouffrés. Ils ne font rien d’illégal. Aux Pays-Bas, il est autorisé d’accorder des réductions sur les médicaments. Ils appliquent cela, conformément à la loi. Mais nous ne jouons pas sur le même terrain. C’est comme un match de football où une équipe peut utiliser ses deux pieds et l’autre seulement le pied gauche. C’est au monde politique de résoudre cela. On se retrouve dans la situation étrange où une entreprise néerlandaise peut importer un produit belge pour ensuite le vendre à des Belges via une « communication » qui est interdite ici ! On peut difficilement parler, dans ce cas, de véritable concurrence.
Vous plaidez pour une révision de la législation en matière de publicité pour les entreprises pharmaceutiques, afin qu’elles puissent aussi faire de la publicité auprès des patients. Pourquoi est-ce important ?
La publicité pour un médicament et pour les compléments alimentaires n’est pas comparable à la publicité pour, par exemple, du chocolat. Notre publicité est contrôlée. Nous ne pouvons pas dire n’importe quoi. Lorsque nous avançons quelque chose, nous devons être en mesure de le démontrer.
Autoriser la publicité auprès du grand public est la seule manière de contrer ce que disent les influenceurs, par exemple sur TikTok. Ils peuvent y affirmer tout et n’importe quoi, sans aucun contrôle. Nous, au contraire, voulons fournir une information correcte via les réseaux sociaux, mais dans un cadre contrôlé. Je ne nie évidemment pas que la notoriété de la marque est également importante pour nos membres.
Récemment, BACHI a lancé un plaidoyer pour la centralisation des données de santé. Pourquoi est-ce important ?
Imaginons ceci : un patient entre dans une pharmacie avec une prescription sur laquelle figurent trois médicaments. Il décide d’en acheter deux sur les trois. Cela est enregistré dans le dossier que le pharmacien tient à jour. Mais le médecin, lui, ignore qu’un des médicaments n’a pas été acheté. Il ne sait pas non plus que le patient a peut-être acquis en plus un médicament sans prescription ou un autre produit de santé. Des produits qui ne peuvent éventuellement pas être utilisés en association avec l’un des médicaments prescrits. Heureusement, il y a encore le pharmacien pour le signaler. Le patient peut ensuite acheter un autre produit dans une autre pharmacie.
Le nomadisme pharmaceutique de 46 % des consommateurs rend d’autant plus cruciale la systématisation de l’enregistrement de tous les produits de santé en vente libre. Lorsqu’un patient achète un antidouleur dans une première pharmacie le lundi, un anti-inflammatoire dans une autre le mercredi, puis consulte son médecin le vendredi pour des douleurs persistantes, seul un dossier unique combinant le GFD et le dossier médical peut éviter les prescriptions doubles ou contre-indiquées. Cela contribuerait aussi à détecter la surconsommation, le sous-usage, les abus ou les problèmes d’observance. BACHI plaide pour que tous les produits de santé y soient repris, y compris par exemple les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux.