Quelque chose cloche
Huit ans. C’est le temps que cela a pu durer. Huit ans de fraude, de bidouillage avec les échelles de besoins en soins, d’abus de cartes d’identité électroniques, de tripotage de primes de soins. Tout le monde le savait. Tout le monde regardait. Et pourtant, on n’est intervenu que beaucoup trop tard. Pas faute de moyens. Pas parce que la loi ne prévoyait pas de leviers. Mais parce qu’on ne les a pas utilisés. Parce qu’on s’est enlisé dans le dossier. Parce qu’un dossier est resté confiné en interne, alors que la justice et les patients avaient, tout ce temps, droit à la vérité.
Pharmacienne et représentante fédérale N-VA
Une telle affaire fait plus de dégâts que les chiffres ne pourront jamais le montrer. Elle sape la confiance. La confiance des patients envers les soignants qui, eux, font honnêtement leur travail chaque jour. Elle vole des moyens à des personnes qui en ont vraiment besoin. Et elle laisse tout un secteur la tête basse.
Dans les pharmacies aussi, nous connaissons les contrôles. Les codes-barres uniques sont comparés, les anomalies suivies, les surfacturations corrigées. C’est logique. C’est nécessaire. Car celui qui abuse doit être corrigé. Personne ne s’y oppose. Au contraire. Des soins honnêtes exigent un contrôle honnête.
Mais ces dernières semaines, quelque chose cloche. Trop de signalements. Trop d’histoires. Des infirmières à domicile qui se retrouvent soudain confrontées à l’arrêt du remboursement de l’acte de sondage chez des patients porteurs de sondes urinaires pour autosondage. Le raisonnement semble, juridiquement, parfaitement en ordre : ce qu’un patient peut faire lui-même ne doit pas être payé par l’assurance maladie. Point.
« Des soins accessibles, ce n’est pas un slogan. C’est une promesse. »
Mais c’est justement là que le bon sens se heurte au réel. Que fait-on de cet enfant qui, techniquement, peut “utiliser” sa sonde tout seul, mais qui, dans la pratique, n’y arrive pas sans aide ? Que fait-on de ces parents qui, depuis des années, s’appuient sur des soins infirmiers à domicile pendant les heures d’école – des soins qui, soudain, ne sont plus remboursés ? C’est à eux que l’on présente aujourd’hui la facture. Comme si les soins étaient devenus un produit de luxe. Comme si leur réalité quotidienne n’existait pas. Cela n’a jamais pu être l’intention du législateur. Les soins ne peuvent pas devenir une sanction pour celles et ceux qui sont vulnérables. Des soins accessibles, ce n’est pas un slogan. C’est une promesse. Et cette promesse est ici en train de vaciller.
Oui, des exercices d’efficience sont nécessaires. Oui, le budget des soins est sous pression. Oui, nous aussi, à l’officine, nous allons le sentir, nous allons l’entendre dans le ton de nos patients. Le ticket modérateur augmente. Les uns l’acceptent avec résignation, les autres avec colère, inquiétude ou abattement. Et nous nous retrouvons au milieu, avec la difficile mission de veiller à l’équilibre entre ce qui est juste et ce qui reste tenable.
Heureusement, il existe toujours le maximum à facturer (MAF). Un filet de sécurité. Une protection pour ceux qui ne peuvent vraiment plus assumer. Mais même avec cette protection, chaque euro supplémentaire représente pour beaucoup un lourd poids sur les épaules. La fraude doit être combattue avec fermeté. Cela ne fait aucun doute. Mais n’oublions jamais qu’au-delà de chaque mesure, de chaque contrôle, de chaque radiation, il y a une personne. Un patient. Un enfant. Une famille. Et des soins sans humanité ne sont plus des soins, mais de l’administration avec un battement de cœur.